Julien BLAINE 

La perf, texte de Julien Blaine


IL VO CI FèRE
IL FAUT S'Y FAIRE
Voilà je crie mes textes et je les articule,
je les bouge, je les remue et je gesticule.

On me fait moins de remarques sur mes mouvements, sur mes gestes, comme si bouger était moins grave, moins ridicule que crier.
Donc je remue et j'hurle...
Le 19 septembre 2004 : j'ai eu 62 ans.
L'épaule gauche de temps à autre est du genre indocile, le creux du genou, de gauche lui aussi, perd de sa souplesse et de son aisance, la nuque accuse à la fin du jour quelque raideur, les pieds, le socle mobile de mon corps, aimeraient qu'en soirée ce soit le cul qui soit piédestal ou soubassement, les articulations, les os, la viande, la peau, les viscères ont de plus en plus de mémoire...

Alors, hui, que mon corps est encore fidèle, que ma voix peut être encore tonitruante, que ma force et mon énergie peuvent encore simuler la jeunesse, je désire quitter le poëme en chair et en os en pleine forme : aussi bien le poëme que moi.

Il y a quarante ans (1962), c'était ma première performance : Reps 306 , une interview avec les éléphants du cirque Franchi, et depuis, hors mes livres, loin ou près de mes expositions,
dans ou aux côtés des espaces que j'ai créés pour ce faire (festivals, centre d'art, friches, rues, places publiques, &c.), je n'ai arrêté de gesticuler et de crier, de dire, de faire :

La performance*

C'est un corps
dans un espace
et c'est un son
dans un corps,
ce son est celui de mon corps
ou celui de cet espace,
c'est un son de nature :
voix, viande, &c.
ou un son d'artifice :
musique, bruits, &c.
Puis c'est un geste
du corps
et un mouvement
de cet espace
et comment jouent ensemble
le geste du corps
et le mouvement de l'espace.
Le mouvement de l'espace
est proprement celui de l'espace
mais aussi du peuple de cet espace :
du public.
Là, tout va bouger :
le corps,
l'espace,
le son,
le geste...
Et la rencontre
sera
ou s'évaporera.
Là, aux entrepôts frigorifiques,
sous les voûtes
dans cet espace
en bord de Seine
aux frontières d'une friche industrielle
qui sera une université parisienne
(l'université Denis-Diderot)
la rencontre s'est établie...
Quant à l'enseignement :
l'université future
ne pourra jamais faire mieux.
octobre 2002

*Post-Scriptum
c'est un art désespéré


P.S. no 2
Si je dis « à ce jour », c'est comme s'il y avait une lueur d'espoir, or l'obscurité est totale.
Néanmoins, « à ce jour », toute révolte contre l'injustice comme tout combat pour la justice ­ ce qui n'est pas la même chose ­, celle des hommes, celle qui fait la différence avec la barbarie des animaux domestiques, ont été un échec. L'administration américaine made in USA (héréditaire et désormais truquée) et l'administration russe made in URSS (mais oui ! mon pote Poutine ! en URSS !)
règnent
règnent sur le monde
aidées par leurs chiens et leurs faucons
deux bêtes faciles à apprivoiser.
printemps 2003

P.S. no 3
En ce début de millénaire
la performance est guettée par 4 dangers :
1/ le gag trop intelligent
2/ le gag trop idiot
3/ la saynète théâtrale
4/ le monologue pour cabaret à touristes

1 risque :
1/ la longueur
et 2 réalités :
1/ les critiques hors média et hors style s'emparent, désormais, de cette discipline et, hors de cette culture, la définissent néanmoins (en tant qu'ingénieurs d'un appareil critique d'une machine hors circuit).
2/ ceux qui pratiquent ça parce que ce serait être à la mode...
et 5 con
tenus néfastes
1/ l'engage
ment
simpliste et altruiste
2/ le sexuelle
ment
nu ou opaque
3/ les symboliques et les ri
tu
els
pisse de chat et caca-boudin
4/ la mise en scène de l'antipathie spontanée et
radicale des artistes entre-deux (entre deux âges, entre deux styles, entre deux &c.) à l'égard des autres artistes (jeunes et vieux, physiques ou technologiques, &c.)
5/ le retour au happening, gutaï et autres spectacles avec participation obligatoire du public

P.S. no 4
En ce début de millénaire
la performance est partout avec le théâtre, la danse, la musique, les arts plastiques
et c'est tant mieux...
Mais elle est aussi enseignée dans les Écoles d'Art
et là c'est tant pis.
Pauvres écoliers qui se retrouvent face à des jeunes femmes ou des jeunes hommes voire des vieilles femmes et des vieux hommes qui sont loin de leur corps et de leurs actes, loin de leur vie et de leur désir, loin du risque et du plaisir, loin de la haine, de la révolte et de l'amour, et qui conduisent ces écoliers de colloques en séminaires sur les autoroutes du savoir mort.

P.S. no 5
En ce début de millénaire
moi,
après 42 ans passés à en faire (des perfs c. à d. des poëmes en chair et en os) j'arrête, j'arrêterai fin 2004. Je vous dirai et je vous dis : ça commence à Marseille à la Friche de la Belle-de-Mai le 18 novembre 2004.
Après je me planquerai dans les résidus : livres, disques, films, expos et autres traces ordurières.

P.S. no 6
Finalement,
je fais des expositions
pour publier des livres :
des livres,
pas des catalogues.
Le livre dans l'espace
donne
le livre dans le livre.
Et après je peux lire
le livre,
le lire de tout mon corps,
en chair et en os...
printemps - été - automne - hiver 2003

P.S. no 7
Désormais, mon corps n'est plus à la mesure de mon ambition...

P.S. no 8
À part Balint Szombathy qui, bien que plus jeune, fait plus vieux que moi, j'étais le benjamin de la fournée de l'E.P.I. Zentrum Der Lange Atem (Zbigniew Warpechowski et Jerzy Beres de Pologne, Janet Haufler de Suisse, Sten Hanson de Suède, Balint et moi), rencontre à l'initiative de Boris Nieslony...
Alors oui ! Je me suis dit : « Oui ! Je pourrais comme eux, comme elle, continuer à performer, montrer mes rides et mes plis, mon souffle court et mes muscles flasques, ma peau flétrie et mes poils
blancs et nos infirmités
(comment écrivais-je « ça »jadis dans mes Bimots ? :

Poumons / goudronnés - Cartilages / déconjugués -
Reins / ensablés - Foie /engorgé - Vaisseaux / encrassés -
Peaux / rides - cheveux / blancs - Poils / gris - Muscles / douleurs -Viscères / douleurs - Squelette / douleurs - Cervelle / mémoire).

La vieillesse est déjà une performance si elle est exhibitionniste.
Mais c'est une perf. à partir d'un âge certain à la portée de tous.
J'ai vu Isou en slip Kangourou, Esther enrubannée de scotch transparent et la grosse et vieille queue de Jerzy peinte aux couleurs de la Pologne, et moi, en ai-je assez fait, nu, des « Appels au linge » ! L'ange et L'un seul ou le lange et le linceul...
Donc, désormais je resterai vêtu, et assis, calme, derrière une table, pour lire clair, sobre, digne (à la rigueur : debout), vrai.
Le texte, lui, sera à poil et au poil, c'est du moins mon souhait et ma volonté.
Je laisse à mes amis et à mes ennemis, à mes chers infirmes plus ou moins diminués, leurs textes dits, agités & datés.

P.S. no 9
J'ai été souvent ridicule et normalement grotesque de 1962 à 2004 (inclus)...

P.S. no 10
(le + & le - )
C'est bien, que j'arrête la perf.
(le poëme en chair&en os et à cor&à cri ) :
de 5 à 5 000 personnes spectatrices-auditrices je n'ai toujours qu'un public de 2 personnes :
l'une qui dit :
« Vous êtes obligé d'hurler tout le temps ?* »
et l'autre qui me confirme que j'ai inventé le poëme olfactif.**


* il vocifère, il faut s'y faire
** Ecfruiture
automne 2004

P.S. no 11
Voilà plus de quarante ans que je voyage à travers le monde pour voir du pays, rencontrer les gens, et je ne visite que des auditoires.

P.S. no 12
Si j'étais sincère (vrai-ment) je dirais que j'arrête la perf. aussi, surtout, à cause du trac qui me brûle l'estomac et me ligote le coeur les jours qui précèdent et me rend insomniaque la nuit d'avant.
automne - 2005

P.S. no 13
Militant, prêcheur, représentant, depuis 1962 j'ai dit et remué ma poésie tout autour du monde, j'ai agi devant des foules et des déserts.
Je voulais convaincre par la confrontation avec eux, avec elles, avec tous. Les mettre en face de la poésie en chair & en os et à cor & à cri.
Mais le monde est large, long, épais, dispersé ; trop traversé, trop desservi.
Et le monstre qui m'écoute, qui me voit n'a que deux oreilles mais mille langues : je renonce.
hiver 2005


Nota :
Sans doute,
sans aucun doute, il me sera impossible de travailler sur un sujet important, que je juge important, que j'estime important ­ et que le monde entier juge ridicule ou sans intérêt ­, sauf toi, Ô mon lecteur, en pesant 105 kilogrammes (moins quelques grammes) pour 1,85 mètre (moins quelques millimètres) et un bide insupportable :
hanche : 1,11 m ; cul : 1,12 m ;
ventre poussé : 1,15 m ; ventre rentré : 1,02 m.
Alors je vais commencé ce travail par un jeûne de quelques jours jusqu'au 88/89/90 kg maxi et un bide ni poussé ni rentré de 0,87 m.
Ce jeûne sera assorti de longues marches au bord de l'océan, de splendides promenades, là-haut près du Piton, et de balades dans les plaines...

Puis, enfin, je pourrais me remettre à l'écriture.

De retour, si je retourne (!), pour préparer ma dernière soirée de performances :
sa dernière soirée, dit-il à la troisième personne comme si déjà, étranger à ça, il était. Sa dernière soirée où il donnera, avant de se réfugier dans les seuls résidus : lectures, livres, disques, films, expositions, &c., sa meilleure performance (selon lui !) de 1962, la meilleure de 1972, celle de 1982, celle de 1992 & celle de 2002.

Je resterai dans ces dispositions :
88/89/90 kg maxi et un bide ni poussé ni rentré de 0,87 m.
Je suis un poète physique « en chair et en os », « à cor et à cri », il ne me suffit d'écrire avec du café, du zamal, du rhum ou tout autre alcool, de l'encre, du clavier ou tout autre outil, il faut que j'articule à tous les sens du verbe, que je me déplace et que je prononce.
Le contrôle du corps, du larynx aux abdominaux, la vérification du fonctionnement des muscles & des viscères, la maîtrise des jus de ma viande & des muqueuses de mes trous et le savoir-faire des os & des nerfs sont indispensables.
Mes appareils & systèmes, les connexions entre la cervelle et le reste, la voix & le geste, le mot & ses attributs doivent rester impeccables, jouissifs.
Je dois vouloir ­ désirer ­ montrer ce corps praticable et en exercice, en cours.
La Réunion sauvera(it)-elle, restaurera(it)-elle le corps ?
Il faut que ça s'anime, que ça rayonne et que ça s'embrase.




L'exploration des écritures originelles, texte de Julien Blaine

Alors, après les nombreuses leçons que nous a données l'art contemporain : interprétation assimilation, digestion, recréation des choses anciennes, il faut revenir au problème réel de la
création.
1/. Le pionnier découvre, le pionnier peut être explorateur ou missionnaire en tout cas découvreur. Gloire lui soit rendue pour ses découvertes.
2/. Le colon débarque avec femme et enfants, bagages et animaux domestiques, le colon sera le plus souvent précédé de militaires et suivi de fonctionnaires. Il s'efforcera à ce que la chose découverte ressemble de plus en plus à la chose jadis délaissée.
L'institution et c'est normal, a toujours préféré le colon au pionnier.
L'avant-garde, et c'est justice, le pionnier au colon.
L'avant-garde du troisième millénaire rejettera aussi bien le colon que le pionnier pour se tourner vers l'indigène et l'autochtone. Celui qui est sur sa terre inconnue, dans sa langue incompréhensible, avec ses rites secrets et son comportement mystérieux. Il regarde venir à lui les pionniers qui défrichent sa terre, déchiffrent sa langue, déchirent ses rites puis arriver les colons qui conquièrent la terre, récupèrent la langue et confisquent les rites.
Pendant 19 siècles on n'a connu que les pionniers et les colons, pendant 1 siècle on n'a voulu reconnaître que les pionniers.
Voici venir le temps où les indigènes sortent de leur clandestinité et de leur réserve.
(in Doc(k)s, deuxième série n° 3, automne 88)

Poupées rituelles des indiens Hopi et Zuni
Duchamp expliqué aux enfants grâce aux Kachinas
Il faut de temps en temps essayer de comprendre les choses toutes simples et savoir que les indiens Hopi et Zuni et beaucoup d'autres parmi leurs frères et soeurs avaient deviné bien avant les artistes romantiques et contemporains que les choses -aussi- avaient un esprit (une âme).
Pas que les aïeux, pas que les ancêtres, pas que les animaux !
Mais aussi les arbres, les plantes et les légumes !
Mère-corbeau et l'ogre et l'homme au nez turquoise et le vieil oncle, la femme et les jeunes filles, le guerrier et le sorcier, le blaireau et le chef, le joueur de flûte et la vieille femme, lecoureur et le clown, l'aigle et la tortue, le loup et l'écureuil, le renard et la cigale, l'abeille et le grand-duc, le hibou et le faucon, le serpent et le mouflon, la bécasse et le canard, le papillon et le daim, la guêpe et le chat, la mouche et le lynx, le roitelet et la vache, le lézard et le Rouge-queue, le moqueur et le fouetteur, les oncles et les grands-pères et les vieilles mères, le Dieu et les dieux...
Tous ces insectes, tous ces oiseaux, tous ces mammifères, tous ces animaux, tous ces humains, tous possédaient l'esprit, l'âme le souffle vital.
Mais l'avaient aussi : le nuage et l'étoile, la neige et les comètes, le torrent et le météore !
Mais encore : la boue et le haricot, la courge et le cactus, le maïs et la fleur, l'épinard et la moutarde.
Alors on comprend pourquoi Marcel Duchamp l'un des grands inventeurs de ce siècle découvrit les Kachinas modernes et occidentales :
la roue de bicyclette (l'esprit de la roue de la bicyclette), la pelle (l'esprit de la pelle), le bouche-lavabo (l'esprit du bouche-lavabo) et tant d'autres, et tant d'autres...
Il est désormais facile de savoir pourquoi l'inventeur de l'esprit (re)naissant dans les choses collectionna :
I'she moutarde verte, et Ma-Alo à la canne, et Angak'China aux cheveux longs et Hemsona coupeur de cheveux, et Kau-A qui vient des Navajo, et Konin Kachin'Mana jeune fille Supaï, et Kwasus Alektaka la tortue, et Lenang la flûte, et Tuskiapaya le serpent fou, et Sio Shalako l'oiseau géant, et Sotuknangu coeur du Dieu céleste.
Il a dû chercher, ici et là, pour vérifier sa puissance et pour compléter sa collection aux côtés de I'She moutarde verte et de Ma-Alo Kachinas à la canne : Patung Kachinas-Courge et Yung'A Kachinas-Cactus.
Que le souffle vital soit avec vous...
+Ce qui sera dans l'un des cahiers de la cinquième feuille que je vous apporterai...
(les secrets se créent)


Le nomadisme, texte de Julien Blaine

Post-card & Mail-art
+ carte postale et poème épistolaire
Évidement, évidemment : le facteur apporte le courrier, quel courrier original dans ma boîte postale ; que d'artistes, que de poètes, que de correspondants... Mais il ne s'agit pas que (cf. ci-dessus).
Dans les continents du silence : silence mais mail !
Silence à l'Est de l'Europe : mais mail ! Silence dans les Amériques du Sud : mais mail !
1) Dans le secret des enveloppes violées, les praticiens de la communication postale tracent les dignes du Dire clandestin ;
2) Dans l'obscurité et l'anonymat du colis ouvert par effraction, les expéditeurs montrent aux destinataires que leur création se développe encore : cet art éphémère s'accroche et persiste et vit, survit malgré les efforts des tortionnaires nazistes de tout poil et de tout horizon.
3) Ailleurs, mon propre timbre et mes propres méthodes
d'affranchissement (x 2) démontrent que chaque jour je peux nier un peu plus la répression sociale et l'ordre (administratif parmi les autres) des sociétés, le faux comme invention, le faux comme vérité poétique, comme démonstration de l'inutilité des politiques au pouvoir... inutilité malgré les prisons, les asiles, la torture et la mort.
4) Et puis il y a la carte postale où le timbre et l'affranchissement (x 2) interviennent — la carte postale c'est le ludismail-art ici le mail-artist et le mail-poet (puisque c'est lui comme d'habitude qui a tout inventé) va pouvoir jouer avec ses correspondants des quatre «.» cardinaux, avec la complicité du voisin de palier et de l'éventuel concierge.
Le jeu n'interdit ni le dire ni le faire et beaucoup en profiteront pour effectuer de grandes déchirures dans le silence.
Et l'art et le poème devront être bien purs et bien clairs et bien durs pour que le cri et le geste résistent aux lois de ce petit rectangle de quelques centimètres carrés (cm2).


Aller montrer là-bas ce qui se fait ici puis revenir et montrer ici ce qui se passe là-bas : l'import-export des cultures et de la création.

GOLDEN AGE OF POETRY


We are in a Golden Age of Poetry, which began 50 years ago, as never existed before in the history of the world. Poetry flourishing and expanding in countless venues to boundless audiences. Festivals in every town in the Western world, and through the use of modern technology and the Internet, poetry reaches people on all levels in society everywhere in all forms.

Julien Blaine is one of the gods of poetry, who helped create the Golden Age of Poetry, as a poet and performer, organizer, promoter and producer, inventor and creator. His heroic endeavors, beginning before he was a leader of 1968 riots in Paris, guiding the strategies of the students, include organizing countless magnificent festivals of poetry in Marseille, Cogolin, Tarascon, and the great feasts of Ventabren. His work is brilliant, his poems and performances are the magical display of clarity, transcending concepts, and the absolute sound of his voice vibrates filling the universe.

Along with being a hero and a god of poetry, Julien Blaine is also an emanation of San Nicola, Saint Nicholas, Santa Claus, the Jovian deity radiating generosity, confidence, and the success of all possibilities. The relic bones of his predecessor are in a church in Bari. And it seems that Julien Blaine, born in Marseille, is also descended from the gods of the sea, deities living in the deepest oceans. You can tell by looking at him. He can't hide it.


John Giorno
2007