Wilson TROUVÉ 

Texte de Frédéric Vallabrègue, 2010
Quand nous voyons les volumes de couleurs de Wilson Trouvé, nous somme d'abord frappés par la méticulosité de leur réalisation. Comme Mezzapelle, il emploie les techniques et les matériaux les plus récents, même s'il revient constamment à la terre, comme le premier retourne au plâtre ou au bois. Certains de ses volumes muraux évoquent d'ailleurs des éléments technologiques : tableaux de bord, plaques informatiques ou énormes jeux de légos. Cependant, ce qui apparaît comme un leitmotiv chez lui, c'est la coulure, comme si toutes ces matières produisaient de l'excès et que cet excès créait un débordement. La coulure, nous en avons parlé avec Anita Molinero et ses matières en fusion précédant ou suivant la catastrophe, en tout cas jamais loin d'elle. Mais chez Trouvé, la coulure ne transporte aucune violence et l'excès n'a rien de grinçant ni d'agressif. Ce sont des éléments de gourmandise sans arrière-pensée, une jouissance entière. Peut-être est-ce ce terme de biscuit appartenant au céramiste qui nous fait entrer dans la pâtisserie ? L'étonnant réside dans cette revendication pleine et entière d'un territoire où s'ébattre dans un plaisir sans interdit. Il ne s'agit pas que du plaisir de la matière mais aussi celui des objets, comme ce service à café aux liquides débordants. Briser, c'est apporter un élément décoratif supplémentaire, salir, c'est embellir. Ces sont des brisures et des salissures aménagées, dont l'espace transgressif est mesuré, comme si le terrain de récréation où se rouler dans la poussière était attenant à un monde corseté ou trop impeccablement tenu. Ce trash millimétré reflète tout un plaisir du dévergondage, de l'espace de liberté adolescent.
Extrait du texte pour le catalogue de l'exposition des artistes-enseignants de l'Ecole supérieure des beaux-arts de Marseille à la SOPSI Gallery, Shanghaï, 2010



Texte de Louis Doucet, 2008
(...)Wilson Trouvé subvertit donc les notions traditionnelles de peinture et de sculpture, annule la troisième dimension là où elle existe et la crée là où elle fait défaut. Ce processus de déstabilisation par subversion des repères et des catégories traditionnels joue aussi sur les notions de contraction et de dilatation, de débordement contrarié, d'excès. Il y est aussi question de mesure désirée mais contredite par la démesure du geste, de discipline imposée dans un univers de violence... À moins que ce ne soit le contraire: d'ordre compromis par l'entropie du monde. L'intérieur et l'extérieur cessent d'être perçus de façon contradictoire. Wilson Trouvé fait écho au célèbre propos de Breton définissant le surréalisme: «Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement.» Wilson Trouvé reconnaît que son intérêt pour le mouvement cyclique entre le haut et le bas provient d'une réflexion sur le baroque et sur l'organisation du mouvement dans la composition des oeuvres nées de ce courant de la peinture, mais aussi de la sculpture et de l'architecture de cette époque. On y trouve aussi, de façon évidente, une sympathie avec les réflexions de Duchamp sur l'«inframince».
Il y a ainsi, chez Wilson Trouvé, une démarche qui s'apparente à la déconstruction telle qu'initialement formulée par Heidegger: «Cette tâche, nous la comprenons comme la destruction, s'accomplissant au fil conducteur de la question de l'être, du fonds traditionnel de l'ontologie antique.» Destruction immédiatement suivie d'une reconstruction, réhabilitant une pratique picturale longtemps vilipendée, puis retrouvée et adoptée au risque de flirter dangereusement ­ mais non sans délectation ­ avec les frontières du baroque ou du kitsch... D'où cette sensation constante, pour l'observateur des oeuvres de Wilson Trouvé, d'être perpétuellement ballotté entre stabilité et instabilité, entre subjectif et objectif, entre effusion incontrôlée et retrait réflexif...
La structure orthogonale, plus ou moins lisible mais toujours sous-jacente, dans toutes les oeuvres de Wilson Trouvé, renoue avec les modèles de Carl André ou de Donald Judd, mais elle est contredite, contrecarrée, contrebalancée, chahutée, contestée par la gestualité d'un Pollock qui les aurait fait passer par le traitement de ses drippings.
Ce sont peut-être les dessins de Wilson Trouvé qui exemplifient le mieux cette dualité. Vus à distance, ils s'inscrivent clairement dans un réseau quadrillé, dont l'orthogonalité n'aurait pas déplu à Mondrian. Mais, au fur et à mesure que l'on s'en approche, les lignes deviennent hésitantes, la structure lacunaire, la texture trouée. La régularité laisse place à un univers plus souple et fluide, où les interpénétrations sont de règle, les interstices flous, la verticale baveuse, les frontières perméables, les armatures spongieuses, les lisières feutrées, l'horizontale indécise, les couleurs lactescentes, les substrats charnus... Tout un univers à découvrir, riche d'opportunités et complexe dans sa structure, mais qui s'évanouit dès lors que l'observateur recule d'un pas. Ses dessins, comme ses objets, requièrent cette double appréhension, l'une à l'intérieur de l'oeuvre et l'autre à distance. La prise de distance permet d'appréhender non plus les détails qui forment l'image mais son intégralité dans son rapport à l'espace du papier, au vide qui entoure la forme. Il en va de même de ses objets, dans lesquels Wilson Trouvé s'intéresse de plus en plus au vide, aux interstices, à la forme qui apparaît entre les pleins, en négatif en quelque sorte. Il souligne que l'un ne va pas sans l'autre, que ce qui semble s'opposer doit être confronté pour former un tout.
L'incongruité de ces visions changeantes évoque, chez moi, un passage de Lesage, dans son Gil Blas; «Nous y rencontrâmes un homme de vingt-sept à vingt-huit ans, qui trempait des croûtes de pain dans une fontaine.» N'était-ce-ce pas un alter-ego de Wilson Trouvé?
Extrait du texte écrit à l'occasion de l'exposition personnelle de Wilson Trouvé à la Galerie du Haut-Pavé à Paris




Texte de Corinne Domer, juillet 2006
Devant une première présence souvent dépouillée et linéaire, les oeuvres de Wilson Trouvé désignent obstinément à notre regard des zones de débordement et d'excès.
Et c'est ce possible lien parfois tendu entre l'apparente unité des formes simples et la présence matérielle et débordante du geste de l'artiste qui nous retient de manière particulière.

Un des aspects les plus marqués du répertoire visuel de Wilson Trouvé est la présence constante de lignes horizontales et verticales qui prennent la forme de volumes géométriques simples ou s'entrecroisent pour devenir trames et quadrillages.
La présence de ces lignes est obtenue par des moyens très variés : les parallélépipèdes de la série « Crumbles » ; le quadrillage et la mise en compartiment inhérents à l'objet choisi (grilles de réfrigérateur pour « Breakfast », radiateur pour « Red Light », caillebotis pour « Hot Stuff ») ; socle pour « Afterhour » ; le jeu des strates pour « Mont » ou « Lotissement » ; une évidente ligne d'horizon présente dans « Nature Morte » et la série « Landscapes » jusqu'à l'apparition d'une grille dans les derniers dessins ou la série « Biscuits », pièces en céramique.

Cet aspect du travail fait ressortir la ligne et le dessin en tant que tel.
La ligne droite ou la trame font toujours perdurer l'effet d'une mise à distance.
Le monde représenté apparaît filtré, décomposé et surtout raisonné comme mis au carreau.
Tous les procédés participent d'une même implacabilité ou pour reprendre les mots de Judd nous montrent « une chose après l'autre ». Des espaces mesurés.

Puis, la stabilité est toujours mise à mal par un geste qui la défigure.
Les lignes dégoulinent, bavent. La régularité qui de loin était si nette, est trouée, devient laiteuse, liquoreuse, spongieuse, crémeuse, huileuse...
L'utilisation des bonbons, de la cire de bougie, colle, pâte à modeler, pastel à l'huile, porcelaine...montre l'importance du jeu.

Chez Wilson trouvé, tout se passe donc comme si le pouvoir de la matière à se répandre, déborder, couler, s'infiltrer, devait être tenu, discipliné par le jeu des lignes droites, ou...que de la discipline imposée devait jaillir la violence contenue.

Ainsi, les objets sont recouverts de matière, ce qui témoigne d'un attachement à un médium pictural. Ce recouvrement souvent partiel constitue une seconde peau fondamentale qui donne une épaisseur sculpturale aux matériaux d'apparence bidimensionnelle. C'est donc et paradoxalement le recouvrement qui confère aux volumes une réalité tridimensionnelle.

Les propositions brassent ainsi au second degré et non sans humour (parfois sarcastique) des perceptions connues historiquement comme contradictoires. Il faut dire que les sujets d'alors étaient autrement costauds.

Ce que le spectateur perçoit, ce sont des trames comme des distances, des hauteurs, des largeurs, des seuils, des repères possibles qui n'existent que par eux-mêmes. Des paysages tranquillisants.
Ce que le spectateur perçoit, c'est aussi une dégoulinure, un suintement, une vomissure, une éjaculation, des restes de gestes qui n'existent que par eux-mêmes.
Ainsi, les choses montrées exigent une distance ou une complète absorption. Le passage de l'un à l'autre ne pouvant subir aucune transition. Un projet de récupération qui fait valser ensemble Pollock et Judd.

Le regardeur se trouve ainsi toujours au bord de quelque-chose, comme sur le bord du plongeoir de « A Bigger Splash » de David Hockney (référence que l'artiste convoque pour « Les Bassins »), un espace très mince et très sensible qui s'approche au plus près de l'instant qui surprend et disparaît.
Un truc drôlement vulnérable, mais qui, si justement peut nous emporter.

Texte écrit à l'occasion de l'exposition de Wilson Trouvé à la Galerie du Collège Marcel Duchamp, Ecole Municipale des Beaux-Arts de Châteauroux, du 15 Septembre au 28 Octobre 2006.
Résidence d'artiste effectuée entre février et avril 2006 à Châteauroux.


www.documentsdartistes.org/artistes/trouve/repro11.htmlLire aussi le texte de Didier Arnaudet '>
Wilson Trouvé, april 2010
“...to diversify and densen my choices, accentuate certain contradictions and dualities active in my process, articulate complementary notions of erasure and marking out of forms and lines of force, blur reference points and certainties, scramble interpretations and planes, give consistency to transparency and render the void opaque, induce doubt vital to the perception of what is given to see”...


Frédéric Vallabrègue, catalogue text extract from the exhibition of Marseille-Luminy School of Fine Arts artist-teachers at the SOPSI Gallery, Shanghaï, 2010
When we see Wilson Trouvé's coloured forms, what strikes us first is the how meticulously they are made. Like Mezzapelle, he uses the most recent techniques and materials, even if he continually returns to clay, like the former goes back to plaster and/or wood. Some of his wall reliefs evoke technological elements: control panels and computer circuits or enormous legos. However, his leitmotiv seems to be the drip, as if all those materials had produced a surplus and this surplus created an overflow. We spoke about the drip with Anita Molinero and her melted materials that precede or follow a catastrophe, or in any case are never far away. But for Trouvé, the drips carry no violence and the surplus isn't in the least grating or aggressive, they are ingredients for indulgence in sweets without a second thought, total sensual pleasure. Could it be that the ceramic term bisque or “biscuit” in French, leads us to pastry? What's astonishing lies in this full and complete claim to frolic about in pleasure without exclusion. It's not just about taking pleasure in matter, but also in objects, like the tea service with liquid brimming over. Breaking brings an additional decorative element, soiling embellishes. These arranged cracks and stains whose transgression space is restrained, is as if the playground for rolling round in the dirt were adjacent to a corseted, or too pristinely kept world. This carefully measured trash reflects all the pleasures of libertinage, a space of adolescent freedom.


Excerpt from a text by Louis Doucet, 2008
Wilson Trouvé subverts traditional notions of painting and sculpture, nullifies the third dimension where it exists and creates one where it's missing. This process of destabilization through subversion of reference points and traditional categories also plays on ideas of contraction and dilation, impeded overflow, and excess. It also concerns desired moderation, although contradicted by immoderate gesture, discipline imposed on a universe of violence...Unless it's the opposite: order jeopardized by the world's entropy. Inside and outside are no longer perceived in a contradictory manner, Wilson Trouvé alludes to the famous statement by Breton that defined surrealism: “It all leads one to believe that a certain place exists in the mind where life and death, real and imaginary, past and future, the expressible and inexpressible, high and low cease to be perceived contradictorily”. Wilson Trouvé admits his interest in cyclical movement between high and low comes from thought about the baroque and organisation of movement in the composition of painted works created during this period, as well as sculpture and architecture from this epoch. One also finds an obvious affinity for Duchamp's thought on the “inframince” (infra-thin).



Mots Index


peinture
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